A part si vous habitez dans une grotte, vous avez certainement entendu parler de l’énorme séisme qui a frappé le Japon. La ville de Sendai, où j’avais passé quelques mois en 2009 semble être une des plus touchées.
Nous sommes absolument sans nouvelles de tous nos collègues et amis japonais à Sendai, ainsi que deux 2 post-doctorants & amis français en séjour sur place, plus 1 doctorant du labo. La ville semble coupée du monde. Toutes nos pensées vont vers eux, en espérant avoir des nouvelles rassurantes au plus vite.
Si vous avez des nouvelles des habitants de Sendai et plus particulièrement des gens de l’université de Tohoku, vous pouvez appeler la cellule de crise du Ministère des Affaires Étrangères au 01 43 17 56 46. Nous avons déjà ouvert des « fiches » au nom des français dont nous sommes sans nouvelles. Pour les ressortissants français au Japon, la cellule de crise de l’Ambassade de France est joignable au 0081 (03) 5798 6000. Je ne connais malheureusement pas les coordonnées de l’organisme chargé de recenser les personnes de nationalité japonaises disparues. Vous pouvez également laisser toute information en commentaire de cet article, sait-on jamais.
D’un point de vue plus personnel, j’espère que cette catastrophe connaîtra une fin moins dramatique celle d’Haïti. J’ai l’impression de revivre le cauchemar d’il y a 14 mois… La seule pensée qui me rassure est que je connais bien la réaction et le calme légendaire des japonais face aux séismes. Ayant vécu un séisme de magnitude 5 et quelques lors de mon séjour au Japon, je ne peux qu’imaginer l’horreur que doit être une secousse de 8.9. Mais alors que je devenais blanche comme une morte à chaque secousse, mes collègues eux, restaient de marbre, prêtant à peine attention aux tremblements très fréquents dans ce pays. Pour les japonais, un tremblement de terre, c’est un peu comme une grosse pluie ou un bon coup de mistral chez nous. Ça peut mal tourner, mais on n’y peut rien, alors autant garder son calme pour se protéger correctement des risques naturels.
Encore une fois, toutes nos pensées sont là-bas. Nous avons fait tout notre possible pour joindre amis et collègues sur place, sans résultats pour l’instant. Maintenant, il ne reste plus qu’à croiser les doigts en attendant que les communications soient rétablies.
Photo d’illustration : Cerisiers en fleurs à Matsushima, à quelques kilomètres au nord de Sendai, avril 2009. Hanami n’aura pas la même saveur cette année, au pays du Soleil Levant…
Désolé pour ce message assez personnel et sans doute un peu décousu, écrit à chaud.
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EDIT du mercredi 16 mars:
Après plusieurs jours d’attente et d’angoisse, nous avons enfin eu des nouvelles de tous nos amis & collègues japonais et français sur place. Les premières nouvelles rassurantes sont arrivées un peu plus de 24h après le séisme, et les dernières personnes manquant à l’appel ont enfin répondu au bout de 5 jours.
Le tremblement de terre a été terrible, mais les bâtiments ont tenu le coup. En revanche, l’intérieur des labos est totalement en vrac, les machines se sont brisées en tombant au sol etc. Une bonne partie de l’université du Tohoku est située sur la montagne, à quelques kilomètres de la mer, donc à l’abri des tsunamis. Le centre-ville de Sendai a également été épargné par le tsunami. Heureusement que le séisme a eu lieu durant la journée de travail, sinon le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd…
Les français, inquiets par les évènements à la centrale de Fukushima, ont pour la plupart réussi à quitter Sendai, non sans difficultés. Les premiers ont rejoints la France aujourd’hui, après un long et compliqué périple. La plupart des autres français sont encore en attente d’un avion dans des aéroports tels que Tokyo ou Osaka, mais se sont éloignés de cet enfer, ce qui est le plus important, et un grand soulagement. Nous suivons leurs aventures heure par heure, par téléphone, Internet etc., en essayant de leur donner le peu d’informations dont nous disposons et qui pourraient leur être utiles.
La ville de Sendai et la région de Miyagi de manière générale sont encore isolées. Les communications sont encore difficiles, que ce soit téléphone, Internet ou les transports. L’aéroport est détruit ainsi que les lignes de train, la plupart des routes sont coupées ou sont réservées à la circulation des secours et des « officiels ».
Même si nous sommes soulagés pour les français qui ont pu quitter le secteur, nos pensées sont évidemment toujours avec nos collègues japonais qui eux n’ont pas la chance de pouvoir quitter le pays. Quelques-uns sont sans nouvelles de leurs familles, restées sur la côte au moment du tsunami… De notre côté, c’est terrible d’être si loin et de pouvoir faire si peu de choses… La solidarité s’organise au travail du mieux possible. Nous n’avons pas beaucoup dormi depuis 6 jours. Nous pensons sans cesse à ces paysages qu’on a admirés et qui ont disparu, aux gens sur place, coincés avec cette menace si proche…
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EDIT du lundi 11 avril :
Un mois s’est écoulé.
En France comme au Japon, on essaye de reprendre un train-train quotidien, de s’organiser pour aider du mieux possible, malgré la distance. Et on pense à ce jour terrible… un mois déjà.
Et il y a deux ans, je posais pour la première fois le pied à Sendai. Ville que j’allais durant quelques temps nommer : « chez moi », et dont je partirai non sans tristesse, en y laissant un bout de mon âme, avec la ferme intention de revenir un jour y travailler…
On ne sait pas quand Sendai reprendra une vie normale. On ne sait même plus si la « normalité » pourra revenir un jour dans la région.
On ne sait pas si on retournera là-bas un jour, manger du gyutan assis par terre au restaurant, admirer les pins de Matsushima, partager un repas sous les cerisiers en fleurs de Sendai, se balader sous les immenses bonsaï Zelkova bordant Aoba-dori et Jozenji-dori, boire un verre de Asahi, de Kirin ou de Sapporo dans Kokobuncho après le travail ou contempler le coucher de soleil sur la ville depuis Aobayama en sortant d’une longue journée de travail…
Alors que la Terre entière bataille pour savoir si le taux de radiation à Tokyo est plutôt de 0,10 µSv/h ou 0,11 µSv/h, nous pensons plutôt à nos collègues de Sendai et des régions rurales du nord de l’île qui ont perdu leur famille, à ceux restés avec des enfants sur place, à ceux dont la maison a été détruite. Nous pensons aux jeunes enfants et aux personnes âgées qui doivent affronter la rigueur d’un hiver qui n’en finit pas, alors que l’électricité et l’eau courante sont encore intermittentes.
Nous aimerions que les médias parlent un peu moins de Tokyo, et un plus des villes comme Sendai et des villes plus au nord : Higashi-Matsushima, Minamisanriku, Ishinomaki, Onagawa et la jolie presqu’île d’Oshika, Kesennuma… ainsi que les villes au sud : Natori, Soma, Watari, le lac de Torinoumi, dans lequel se jette une rivière près de laquelle nous avions célébré Hanami sous les cerisiers en fleurs, cette même rivière qui traverse une ville au nom désormais tristement célèbre : Fukushima….
La région du Tohoku, rurale et agricole, peu connue des touristes étrangers (en 2 mois à Sendai, le nombre d’étrangers que j’ai croisé sur place doit se compter sur les doigts d’une seule main), vit encore une fois en décalage avec les grandes métropoles de la moitié sud du pays. Les journalistes se préoccupent de savoir si l’électricité sera coupée ou non dans les grands magasins de Shinjuku ou Shibuya (quartiers de Tokyo), mais bien peu sont ceux qui sont allés voir de leurs propres yeux les villages de pêcheurs rasés au nord de l’île passé les premiers jours.
Cependant l’heure n’est pas à la critique stérile ni à l’étalage des chiffres. Nous aimerions aller de l’avant et surtout que l’on n’oublie pas les gens qui ont vraiment été touchés (parmi lesquels il serait bien, par respect pour les habitants des villes côtières du Tohoku, que l’on arrête d’inclure les tokyoïtes… Tokyo n’a pas vraiment été touchée, à part quelques bonnes secousses et des perturbations dans les transports… rien à voir avec les villes rasées du Nord).
Les cerisiers vont bientôt fleurir à nouveau dans le nord de Honshu, le printemps va se réveiller… Souhaitons que la vie des habitants du Tohoku recommence également.
仙台
東北
日本
覚える
Ganbaru Tohoku !
Ganbaru Sendai !
がんばるう東北 !
がんばるう仙台 !
Les puristes voudront bien pardonner mon écrit japonais rouillé, et mon artistique mélange entre kanji, hiragana et romaji…
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EDIT du 11 juillet :
Quatre mois. Quatre mois depuis que la vie a changé dans les villes côtières de Miyagi et du Tohoku.
Il y a quelques jours de cela, mon chef japonais est venu en France pour une brève visite. Instants d’émotion, de revoir quelqu’un dont on est restés sans nouvelles près d’une semaine. Les conversations ont évidemment rapidement tourné autour des évènements du 11 mars. Difficile de savoir la « vérité » avec un japonais et sa réserve naturelle. Cependant, on a senti dans son attitude, son regard, ses paroles, que quelque chose avait changé. Plus de gravité, moins d’insouciance. Le 11 mars, ce n’est pas que Fukushima… C’est avant tout un mur d’eau qui a tout emporté sur son passage. Pas seulement une centrale nucléaire. Mais aussi des maisons, des gens, des vies. Il n’y a eu très peu de blessés. Le tsunami n’a laissé aucune chance aux habitants ; ils sont soit morts, soit vivants. Classement binaire…